Le Monde 14.02.11 16h11 • Mis à jour le 14.02.11 16h18
Envie de voir La Bohémienne endormie, du Douanier Rousseau ? Il faut aller à New York, où elle est conservée au MoMA. Le Portrait d'Henri VIII par Hans Holbein ? Un petit voyage à Madrid, au Musée Thyssen. Les Ambassadeurs, du même ? Il faut voguer jusqu'à Londres, et la National Gallery. Ou alors, confortablement assis dans son fauteuil, cliquer sur son ordinateur sur le site googleartproject.com.
Après une première expérience tentée avec le Prado (Le Monde du 19 janvier 2009), ce sont désormais dix-sept musées du monde entier, de Berlin à Versailles en passant par Saint-Pétersbourg, qui peuvent s'y visiter virtuellement, selon le principe du "street view" déjà développé par le moteur de recherche.
L'oeil glisse ainsi au-dessus des parquets de l'Hermitage ou de la National Gallery. Attention toutefois à ne pas jouer trop vite de la souris, au risque de se retrouver expulsé en plein Trafalgar Square. La balade est en effet amusante, mais pas très pratique, sauf à utiliser les plans de salle ou les menus déroulants. L'aspect le plus spectaculaire de ce projet n'est cependant pas là, mais plutôt dans la possibilité qu'il offre de voir les reproductions de 1 060 oeuvres desdites collections photographiées en très haute résolution, à 7 milliards de pixels ! Quel intérêt ? De zoomer dessus, bien sûr.
Dans le cas du Portrait de Joseph Roulin de Van Gogh, cela permet de distinguer chaque touche de pinceau, et jusqu'à la trame de la toile. L'exercice est encore plus spectaculaire avec Les Ambassadeurs d'Holbein. Certes, le site officiel de la National Gallery (nationalgallery.org.uk/paintings/hans-holbein-the-younger-the-ambassadors) permettait déjà d'en agrandir les détails, mais pas avec une telle précision.
On sait que le personnage de gauche représente Jean de Dinteville, ambassadeur de France auprès d'Henri VIII et seigneur de Polisy. Les historiens d'art avaient d'ailleurs remarqué que, sur le globe terrestre figurant près de lui, le nom de son fief était clairement indiqué. Sauf que qui voulait vérifier cette assertion devait se pencher sur l'original avec une très forte loupe, en déclenchant sonneries d'alarme et colère des gardiens. Désormais, c'est possible. Tout comme il est possible de zoomer sur son béret, où est fixé un médaillon en forme de crâne, écho quasi invisible habituellement de la tête de mort représentée près du sol par une célèbre anamorphose. On constate aussi d'autres bizarreries, qui pourraient même faire évoluer les recherches sur l'artiste : pourquoi, par exemple, indique-t-il clairement sur son globe, non seulement Polisy, mais aussi Arras et Lyon, quand il omet Londres, Paris, et même Bâle, où il a pourtant commencé sa carrière et dont il est citoyen ?
Après le temps de la fascination vient celui des regrets : pas la plus petite explication, ni le moindre commentaire pour accompagner les images. Pour cela, certes, d'autres sites ne manquent pas (dans le cas des Ambassadeurs, numerare.fr/holbein/start.htm, par exemple), mais c'est tout de même frustrant. Comme l'idée bizarre d'inclure dans les images à haute résolution des sculptures, comme les Canova de L'Hermitage, mais sous un seul angle, ce qui est la négation même de la ronde-bosse qui exige de tourner autour.
La dernière déception vient du choix, pour l'instant très limité, des oeuvres reproduites. Qui veut voir Les Demoiselles d'Avignon de Picasso devra toujours prendre l'avion et aller à Manhattan : le chef-d'oeuvre fondateur du cubisme n'a pas été sélectionné pour le projet. Mais au fond, se frotter à l'original reste indispensable. Car il est un détail que l'ordinateur est incapable de reproduire, c'est le format. Et une sensation qui demeure inégalable, c'est celle de la confrontation directe avec l'oeuvre, même avec un regard de myope.
Harry Bellet
Article paru dans l'édition du 15.02.11
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